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Aux sources de l'invention du visage

Regards sur l'identité, depuis les premiers débats sur la relation du caractère avec l'apparence physique jusqu'aux questions posées par la chirurgie réparatrice contemporaine. "La Fabrique du visage. De la physiognomonie antique à la première greffe", avec un inédit de Duchenne de Boulogne, sous la direction de François Delaporte, Emmanuel Fournier et Bernard Duvauchelle. Éditions Brepols, 2010, 350 pages, 65 euros.
"Ouvrage collectif, qui rassemble des approches résolument diverses, celles de philosophes, de psychiatres, de chirurgiens, d’historiens, 'La fabrique du visage' a essentiellement pour fonction de faire surgir des questions plutôt que de proposer des réponses. Partant du postulat selon lequel un visage n’est jamais donné mais toujours construit par celui et ceux qui le regardent, les auteurs se sont proposé de faire varier ces regards et par conséquent de donner à s’interroger sur les différentes types de construction dont il a pu historiquement faire l’objet. Cela, jusqu’à sa 'fabrique' entendue au sens propre du terme, c’est-à-dire jusqu’à la première greffe destinée à réparer un visage profondément mutilé. Deux moments forts ont été privilégiés dans une construction qui a choisi de respecter l’ordre chronologique de surgissement des questions. L’ouvrage s’ouvre ainsi par la publication d’un inédit du médecin Duchenne de Boulogne, Considérations sur la mécanique de la physionomie (1857), un travail qui a puissamment contribué à l’élucidation du mécanisme de la physionomie humaine, pour se concentrer plus loin sur le récit de cette greffe réalisée en 2005 par le chirurgien Bernard Devauchelle et son équipe sur une femme au visage partiellement dévoré par les morsures de son chien ainsi que sur les nombreuses questions, techniques, esthétiques et éthiques, que cette opération fait surgir. L’ouvrage se clôt par deux articles consacrés aux 'Gueules Cassées' de la Grande Guerre et par un dernier article qui interroge l’effacement, la dissimulation volontaire du visage, notamment à travers une série de photographies mettant en scène des corps fortement érotisés, voire obscènes.
Ces différentes approches posent presque toutes et chacune à sa façon quelques questions essentielles. Ainsi la greffe du visage pose-t-elle avec acuité la difficile question de l’identité personnelle que suggère déjà l’analyse de la normalisation des photographies dites, précisément, d’identité. La rigoureuse codification de ces photos véhicule une certaine conception officielle, administrative, de l’identité personnelle. La même question est posée sur un mode beaucoup plus tragique par les 'Gueules Cassées' de la première guerre mondiale et par les cas de défiguration accidentelle : la défiguration signifie-t-elle la perte de l’identité, personnelle et spécifique à la fois ? Ne plus avoir visage humain, être relégué au rang de monstruosité, telle est la difficile expérience à laquelle ont tenté de remédier après la Grande Guerre les premières tentatives de chirurgie réparatrice et plus récemment la première greffe du visage. Pourquoi peut-on alors vouloir jouer à dissimuler son visage ? D’un autre côté, avoir un nouveau visage, reconstruit par la chirurgie réparatrice, est-ce perdre à jamais son ancienne identité et revêtir, dans le cas de la greffe du visage, une nouvelle identité, celle du donneur ? Ou bien l’identité personnelle est-elle transcendante à l’apparence physique ? Quand il est possible, comme l’a fait Duchenne de Boulogne, de faire surgir l’expression d’émotions diverses par l’excitation électrique des muscles de la face, que penser du vieux dualisme métaphysique de l’âme et du corps ? Cette question, déjà la physiognomonie antique la posait et les physiognomonistes des Lumières, comme Lavater, l’avaient posée à nouveau : entre le visage et le caractère, quel rapport exact ? Les traits du visage déterminent-ils le caractère ou se contentent-ils de l’exprimer et d’en être le signe ? C’est évidemment toute la question du matérialisme qui est posée, et dont on peut d’ailleurs regretter qu’elle soit, tout au long de l’ouvrage, plus suggérée que véritablement traitée. C’est toutefois la richesse des questionnements de ce dernier, ancrés dans des expériences particulièrement fortes, que l’on retiendra prioritairement."
Simone Mazauric, philosophe et historienne des sciences

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