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"La bioéthique en pleine révision", par Paul Benkimoun et Cécile Prieur

"Une mission est confiée au Conseil d'Etat par le premier ministre, François Fillon, une autre sera constituée prochainement par les députés à l'Assemblée nationale, une troisième conduite par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) : la révision des lois de bioéthique de 2004, prévue pour 2010, mobilise bien au-delà des milieux scientifiques. Alors que le gouvernement a nommé une nouvelle directrice à la tête de l'Agence de biomédecine - la conseillère d'Etat Emmanuelle Prada-Bordenave, qui sera chargée d'organiser des états généraux de la bioéthique, en 2009 -, juristes, médecins et sociologues réfléchissent déjà aux contours de la future révision."

"En 1994, la France adoptait ses premières lois de bioéthique, dans le but de trouver 'un point d'équilibre entre la protection des droits fondamentaux de la personne et la non-entrave aux progrès de la recherche'. Cette législation, révisée en 2004 avec cinq ans de retard sur le calendrier prévu, a adopté une série de principes, qui constitue le socle de toute réflexion sur la bioéthique en France : indisponibilité du corps humain, non-commercialisation du vivant, anonymat et gratuité du don. C'est sur cette base qu'il a été décidé, en 1994, de restreindre l'assistance médicale à la procréation (AMP) au traitement de l'infertilité des couples hétérosexuels. C'est aussi au nom du respect de la dignité humaine, et donc de l'embryon, qu'a été interdite, en 2004, la recherche sur les cellules souches embryonnaires, à l'exception d'expérimentations, autorisées sous contrôle strict de l'Agence de la biomédecine.

Bien que pionnière dans la réflexion législative sur la bioéthique, la France a l'un des arsenaux les plus restrictifs en matière de sciences du vivant, bien moins pragmatique que beaucoup de ses voisins européens. Cette situation génère depuis quelques années un véritable tourisme procréatif hors de nos frontières, les couples français ne pouvant bénéficier de l'AMP se dirigent vers la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Espagne, voire les Etats-Unis.

Face à l'avancée des sciences et l'évolution des moeurs, la question est posée de savoir si la France doit accepter un assouplissement de sa législation. 'Pouvons-nous nous en tenir à une législation interne rigide dans un contexte très libéral ?', s'est interrogé Frédérique Dreifuss-Netter, professeur de droit, lors d'une audition publique organisée par l'Opecst, le 10 juin. 'Faut-il garder les principes fondateurs de nos lois de bioéthique et accepter des exceptions, ou bien abandonner certains de ces principes et adopter de nouvelles valeurs ?'

La première question que devra trancher le législateur est la levée ou non du moratoire qui pèse sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires. La position de la France - interdiction de principe mais autorisation sous contrôle - est jugée illisible par nombre de scientifiques et d'observateurs qui dénoncent le retard qu'elle entraîne dans l'avancée de la recherche. Alors que la question était très polémique en 2004, un consensus scientifique et politique semble émerger pour l'adoption d'une position autorisant clairement la recherche sur l'embryon. Le sujet reste malgré tout sensible : une prise de position dans le sens de la levée du moratoire aurait coûté sa place à Carine Camby, ancienne directrice de l'Agence de biomédecine.

Les conditions d'accès et de recours à l'AMP constitueront l'autre axe de débat. Le principe de l'anonymat des donneurs de gamètes (sperme ou ovocytes), qui fonde la législation sur le don, sera discuté, notamment au regard de la demande d'enfants issus de l'AMP. Devenues adultes, ces personnes souhaitent accéder à l'identité de leur géniteur ou à des éléments d'identification de personnalité. 'Ces enfants ne recherchent pas un père puisqu'ils en ont un, mais ils semblent curieux de leur père génétique afin de mieux se comprendre, a ainsi expliqué la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval. C'est plutôt un droit à sa propre histoire personnelle qu'une recherche en origines.'

ANONYMAT ET GRATUITÉ DU DON

Le législateur devra aussi se pencher sur l'éventuelle rémunération du don de gamètes. La France a opté pour une gratuité totale du don de sperme ou d'ovocyte et se borne à une simple indemnisation. Mais la pénurie d'ovocytes est telle en France (un couple peut attendre entre deux et cinq ans avant de pouvoir bénéficier d'un tel don) que la question d'une indemnisation plus substantielle est posée. D'autant que le don d'ovocyte est autrement plus lourd et contraignant pour la donneuse que ne l'est celui de sperme pour le donneur. En Espagne, où le don d'ovocyte est 'indemnisé' à hauteur de 900 euros, les donneuses affluent, attirant nombre de couples européens.

Les principes d'anonymat et de gratuité du don seront d'autant plus interrogés que la France pourrait légaliser les mères porteuses. Le 25 juin, le groupe du travail du Sénat sur la gestation pour autrui (GPA) se déclarait favorable à un tel recours, position qu'a ensuite reprise la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano. Or l'enfant issu d'une GPA pourra, si ses parents le souhaitent, connaître sa mère porteuse, tout comme cette femme devrait être correctement indemnisée le temps de sa grossesse. Ce qui est valable pour les enfants issus de mère porteuse ne devrait-il pas l'être pour les enfants issus de dons de gamètes ?

Au-delà, la révision des lois de bioéthique ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur les conditions d'accès à l'AMP. La revendication d'un droit à l'enfant se fait jour bien au-delà de la famille traditionnelle. 'La définition des conditions conjugales d'accès à l'AMP est à débattre aujourd'hui', a affirmé la sociologue Dominique Mehl, citant les couples homosexuels et les célibataires. 'La société a fait jusqu'ici le choix de faire de l'AMP la résolution d'un problème médical d'infertilité d'un couple hétérosexuel, a répondu Pierre Jouannet, professeur de biologie de la reproduction. D'autres choix sont possibles, mais ils relèveraient d'un bond anthropologique en mettant en place une procréation en dehors de toute fertilité.'

Prévus pour le premier semestre 2009, les états généraux de la bioéthique devraient permettre un large débat. En rester au statu quo posé en 1994 et en 2004 paraît difficilement tenable. "La législation française offre un certain confort, elle interdit tout, a ainsi pointé Israël Nisand, gynécologue-obstétricien. S'autoriser à dire oui au cas par cas permettrait d'éviter le bricolage procréatif à l'étranger."

Source :
LE MONDE
Courriels : benkimoun@lemonde.fr ; prieur@lemonde.fr.

Paul Benkimoun et Cécile Prieur (Services Sciences et France-Europe)

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