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Transplantation (Suisse) : et si Elodie était une enfant maltraitée ?

"La petite fille d’un couple genevois a servi de donneuse programmée pour son frère atteint d’une maladie grave. Y a-t-il maltraitance envers cette enfant, en bonne santé, qui subit une lourde opération à l’âge d’une année ?"


"C’est l’histoire d’une petite fille d’une famille ordinaire installée à Genève. En février dernier, à l’âge d’un an, elle est passée sur la table d’opération au Kinderspital de Zurich pour qu’on lui prenne du sang et de la moelle osseuse, alors qu’elle était en pleine santé. Elodie, c’est son nom, a été conçue in vitro grâce à un diagnostic préimplantatoire afin de devenir une future donneuse d’organes. C’est ce qu’on appelle un 'bébé-médicament', dont le premier est né en août 2000 à Denver aux Etats-Unis. C’est-à-dire un enfant conçu et sélectionné génétiquement pour venir en aide à un vivant. Dans le cas présent, le grand frère d’Elodie est atteint d’un grave déficit immunitaire, une maladie orpheline appelée la granulomatose, qui l’expose à toutes les bactéries. Seule une greffe de la moelle osseuse pouvait le sortir de sa bulle et lui donnait une nouvelle chance dans la vie.

Elodie a été conçue en Belgique, car la Suisse interdit, pour l’instant en tout cas, ce type de pratique de choix préimplantatoire. Mais la Suisse permet le transfert d’organes, même avec des personnes incapables de discernement. A l’âge d’un an donc, bien qu’en parfaite santé, son destin immédiat était scellé. La petite sœur, 'pupuce', comme l’appelle affectueusement son père, agent dans la police genevoise, file vers le bloc opératoire en compagnie de sa mère, Béatrice. Dans l’opération qui va suivre, l’équipe du Dr Reinhard Seger, spécialiste en immunologie, va lui tirer un tiers de son sang et procéder à une ponction de la moelle, ce qui est loin d’être anodin. Ce matériel humain va permettre une greffe sur Noah, son frère de 5 ans.

Une réserve d’organes Journaliste à la TSR, José Roy a suivi cette famille durant les moments décisifs dans les couloirs de l’hôpital et en a tiré un reportage poignant, dont la TSR précise qu’au final, il s’agit 'd’une très belle histoire d’amour'. L’intervention a réussi, Elodie est rentrée à la maison et Noah devrait pouvoir vivre dorénavant hors de sa bulle protectrice. Cela dit, si le reportage montre les attentes, les angoisses, et finalement le bonheur de la famille retrouvée, il passe comme chat sur braise sur le rôle central de la fillette, dont le regard interrogateur, au moment d’entrer dans le bloc opératoire, fait frissonner. Comment admettre la conception d’une petite fille comme une réserve d’organes et de lui faire subir, à un âge si précoce, une lourde intervention évasive ?

L’enfant n’a pas la parole pour se défendre et nul avocat pour sa cause. Sa mère parle à sa place. C’est dur pour elle parce qu’elle sait qu’on va opérer son enfant, sa 'petite fleur', comme elle dit avec un trémolo dans la voix, mais finalement 'c’est merveilleux qu’elle donne de la moelle pour son frère'. Elle réfute l’appellation de 'bébé-médicament', parce qu’un médicament, 'on l’utilise et on le jette', tandis que 'nous, on l’aime, Elodie, c’est notre rayon de soleil'. Mais il n’en reste pas moins que la petite n’avait pas le choix de subir cette opération 'délicate et lourde', selon les termes du Dr Seger. Une opération où le risque zéro n’existe pas: 'Il y avait 5 pour cent de probabilités que cela tourne mal', admet José Roy.

A notre époque où une paire de gifles à un enfant peut être considérée par certains comme du mauvais traitement, n’est-on pas dans un cas de figure plus grave quant à l’atteinte à l’intégrité physique d’un petit être humain, même dans le but louable de sauver son frère ? L’enfant n’a-t-elle pas été considéré comme un cobaye ? Dominique Sprumont, spécialiste du droit de la santé à l’Université de Neuchâtel, semble d’abord comprendre cette opération: 'En matière de transplantation, on va admettre le fait de prélever des organes pour sauver un frère ou une sœur. La législation le permet. Toujours dans le cadre légal, il est possible de faire une intervention sur une fillette d’un an si les conditions de sécurité sont respectées. Ces parents ne m’ont pas donné l’impression de traiter cette enfant comme un objet'."

Pour Dominique Sprumont, il y a une pesée des intérêts en présence qui est très délicate: 'Le risque zéro n’existe pas. Mais, d’un côté, il y a une question de vie ou de mort pour le receveur et, de l’autre, des garanties pour la personne donneuse d’être traitée dans les meilleures conditions. Evidemment, c’est un choix dramatique que personne n’a envie de faire dans sa vie.' Et la douleur de l’enfant, le stress d’une opération invasive à un an seulement ? Dominique Sprumont, père lui-même de trois enfants, ne le nie pas, et doit admettre, in fine, que ce que l’on fait à l’enfant 'ne lui fait pas de bien'.

Un cri d’amour
Le reportage de la TSR ne montre pas l’opération. Il s’arrête aux portes du bloc opératoire où le regard de la petite Elodie est posé dans le vague. Dans l’inconnu. C’est le moment le plus touchant du reportage, où les questions émergent. Où l’attente commence. José Roy estime que les images de l’angoisse des parents suffisent à retranscrire cette douleur, la douleur de l’enfant, mais il reconnaît avoir été confronté à 'une zone discutable, le reportage et les réactions qu’il provoque le démontrent'. Cependant il se refuse à parler de maltraitance envers l’enfant.

Georges Glatz, délégué de l’Etat de Vaud à la prévention des mauvais traitements envers les enfants, estime lui aussi que l’on ne peut pas parler dans ce cas d’une maltraitance: 'Je constate dans cette affaire un cri d’amour des parents pour leurs enfants. Il faut appliquer le principe de proportionnalité, dans la mesure où l’enfant donneur peut sauver son frère. C’est aux parents de prendre les options qu’ils pensent être justes.' Pour lui, il faut se porter dans l’avenir, dans quinze ou vingt ans, lorsque la petite sœur pourrait, à l’inverse, reprocher à ses parents: 'Alors que j’avais la possibilité de sauver mon frère, vous ne l’avez pas fait. Ne pas permettre à l’enfant de sauver son frère serait aussi une sorte de maltraitance.'

Cela dit, cet argument souffre quand même du fait que la petite fille a été conçue dans un but bien précis. Georges Glatz met ainsi un bémol: 'Là où je vois un réel problème, c’est la naissance de bébés à la carte dont l’identité est en partie définie et non pas le fruit du hasard. Cette idée est contraire à la notion des droits de l’enfant où l’on s’efforce de préciser que les mineurs sont des personnes à part entière.' C’est bien là que les enjeux se compliquent. Comment concilier la défense de l’intégrité physique de l’enfant avec son utilisation sur le plan médical, avec les risques que cela comporte ?

En Belgique justement, à l’Hôpital de l’Université flamande de Bruxelles, on a tranché: 'L’équipe médicale est consciente des problèmes éthiques posés par cette technique. Le bébé-médicament doit subir des traitements lourds dès sa naissances, psychologiquement il devra porter le fait de n’avoir pas été désiré pour lui-même, ainsi que la perte de tous les embryons qui n’ont pas été sélectionnés avant lui, surtout si son frère ou sa sœur n’a pas été guéri.' Malgré tout, le comité d’éthique de l’institution a 'considéré que les avantages procurés compensaient largement les inconvénients'.

Aujourd’hui, la petite Elodie va bien. C’est un succès pour la médecine et l’équipe du Dr Seger. Mais on frémit à l’idée que l’opération aurait pu mal se terminer et au potentiel dramatique d’une telle issue."

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Article d'Eric Felley

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