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France : Le don d'organes - Greffe du visage - Les souvenirs du corps

Pour que la greffe prenne


"Consentement présumé, gratuité, anonymat : tels sont en France les principes du don d'organes, inscrits dans la loi de bioéthique du 29 juillet 1994. Toute personne est donneur potentiel, sauf si elle a fait connaître son désaccord. Selon un sondage réalisé en 2004, 74 % des Français sont favorables au don de leurs propres organes, mais seuls 39 % l'ont fait savoir à leur entourage.

La durée de vie des organes. Une fois le prélèvement effectué, il faut faire vite : un coeur se conserve quatre heures, un foie de six à huit heures, un rein vingt-quatre heures. Trois à quatre organes étant prélevés à la fois, chaque donneur sauve plusieurs vies.

Le nombre de greffes. En 2004, 3 948 greffes ont été réalisées en France (2 423 de rein, 931 de foie, 317 de coeur, 145 de poumons, 22 de coeur-poumons, 103 de pancréas, 7 d'intestin). Environ 7 000 personnes sont restées en attente d'un greffon, dont 2 000 étaient à brève échéance en danger de mort".

Greffe du visage :


"Comment va-t-elle ? 'Aussi bien que possible.' Elle a surmonté les premiers risques de rejet, parle avec assez d'aisance pour se faire comprendre au téléphone et continue de se dire 'contente' de son opération : pour la femme de 38 ans, gravement défigurée par un chien, sur laquelle a été pratiquée, il y a deux mois, la première greffe mondiale de visage (le triangle nez-lèvres-menton) au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens, puis à l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon (Le Monde du 2 décembre 2005), la vie semble reprendre tout doucement son cours.

'Sa blessure était si épouvantable que la question de savoir si cette greffe était nécessaire ne se posait pas', rappelle aujourd'hui le psychiatre et psychanalyste Gabriel Burloux, qui s'est entretenu chaque jour avec cette patiente, à Lyon, durant son séjour dans le service de transplantation du professeur Jean-Michel Dubernard. Une opération de la dernière chance qui n'en suscite pas moins un certain trouble, tant le visage, plus que toute autre partie du corps, reflète et symbolise notre identité.

Pour autant, cette greffe diffère-t-elle beaucoup des transplantations d'organes, désormais pratiquées en grand nombre, quant aux ressorts psychologiques mis en jeu ? 'La difficulté est plus grande lorsqu'il s'agit d'une partie visible du corps, comme le visage ou les mains, mais le patient doit effectuer le même type de travail psychique quel que soit l'organe greffé, précise le docteur Burloux. Il s'agit toujours d'apprivoiser, de s'approprier cette structure vivante venue d'un autre.' Un ébranlement identitaire propre à toute procédure de greffe, que David Le Breton, sociologue et anthropologue à la faculté des sciences sociales de Strasbourg, n'hésite pas à qualifier de 'rupture anthropologique'."

Nombreux fantasmes



" 'Notre présence au monde étant une présence de chair, un organe n'est pas un objet comme un autre, souligne M. Le Breton. C'est une part d'autrui qui implique, par la suite, de vivre dans la cohabitation.' Pour de nombreux patients greffés, cette réalité ne pose pas de problèmes majeurs. Mais elle suscite chez certains une forme de dépersonnalisation. Ou du moins, 'un débat intérieur très intense' avec cet autre devenu une part de soi-même, qui peut se comporter à la fois 'comme un ami exigeant et comme un intrus, voire un persécuteur'.

De cette relation singulière qui unit le receveur et son donneur, qu'adviendra-t-il ? Dans une minorité de cas, le don d'organe (un rein ou un foie) est fait de son vivant par un membre de la famille. Frère, soeur ou parent, la personne qui offre ainsi une partie d'elle-même accepte de modifier sa qualité de vie et, à terme, de la mettre en danger. Un acte de générosité et d'amour qui ne va pas sans créer parfois de grandes tensions familiales, mais qui peut au moins être payé de retour, le receveur ayant la possibilité concrète d'exprimer au donneur sa reconnaissance.

La situation est différente — et de loin plus fréquente — lorsque l'organe provient d'un donneur ayant perdu la vie. Comment, dans ce cas, honorer ses obligations, selon la règle édifiée par l'anthropologue Marcel Mauss ? Ainsi qu'il l'a démontré, dans nombre de civilisations, les échanges et les contrats se font en effet 'sous la forme de cadeaux, en théorie volontaires, en réalité obligatoirement faits et rendus'. Nous ne pouvons demeurer 'en reste' dans notre vie sociale... Mais comment rendre à un mort ce qu'on lui doit ?

Quel que soit le donneur, le receveur lui sera donc redevable. Une situation qui peut lui donner une certaine force ('Quelqu'un t'a donné le coeur, c'est une sorte de contrat moral, tu dois continuer', dit un greffé cardiaque), mais aussi générer anxiété et culpabilité.

Les dons d'organes étant, selon la loi française, obligatoirement anonymes, ils font ainsi naître de nombreux fantasmes : peur d'être contaminé par une maladie ou par un trait de caractère du donneur, désir de mieux le connaître... Il est toujours difficile d'accepter dans son corps la part de l'autre, de ressentir comme sien l'organe nouveau venu (organe auquel le patient va parfois jusqu'à parler et donner un nom). Et plus encore lorsqu'il s'agit d'une greffe cardiaque, de loin la plus sensible au plan psychologique.

Peur, colère, tristesse : le coeur, en effet, est par excellence l'organe d'expression des émotions. Mais celles-ci ne peuvent se manifester que si le muscle cardiaque est connecté nerveusement au système sympathique. Or, après une greffe du coeur, plusieurs années paraissent nécessaires avant que cette connexion se reconstitue complètement.

Les patients greffés du coeur expriment alors leurs émotions de façon différente, décalée : parfois par gestes, à la manière des acteurs, parfois par leurs viscères, comme les bébés qui expriment par des coliques leur détresse. Il faut donc être particulièrement attentif à cette 'déliaison' entre la sphère des émotions et le reste du fonctionnement psychique, et à ses conséquences sur les pensées et le comportement.

Qu'en est-il, enfin, lorsqu'il s'agit d'une partie du corps aussi visible et personnalisée que le visage ? Ou que les mains ? Dans ce dernier cas, une personne au moins a pu fournir un début de réponse : Denis Chatelier, premier homme au monde à avoir reçu en janvier 2000, dans le même service du professeur Dubernard, les deux avant-bras et les deux mains d'un autre. Des mains auxquelles il fallut réapprendre le mouvement, le toucher, la préhension. Et les souvenirs."


Les souvenirs du corps


"Car la mémoire n'est pas seulement dans le cerveau. Lorsque notre main touche un objet, ce geste est suivi de l'enregistrement de signes dans notre cortex, auxquels correspondront des formes, puis des souvenirs qui seront réactivés lorsque notre main, à nouveau, touchera cet objet. Mais lorsqu'on reçoit une nouvelle main, de quoi va-t-elle se souvenir ?

Cinq ans après l'opération, les médecins de Denis Chatelier ont tenu une conférence de presse, pour annoncer — en sa présence — que sa double transplantation était un succès (Le Monde du 15 janvier 2005). Les psychologues ont alors précisé que cet ancien peintre en bâtiment, qui a repris une activité professionnelle depuis 2003, avait progressivement retrouvé une sensibilité jusqu'au bout des doigts. Et que son cerveau, dans le même temps, avait transféré aux nouveaux membres les représentations mentales des anciens. C'est à partir de là, semble-t-il, que Denis Chatelier a commencé à parler de 'ses' mains."

Auteur :
Catherine Vincent
Le Monde

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